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Regard naïf sur la crise politique chronique à Haïti

Regard naïf sur la crise politique chronique à Haïti

Pour tenter de comprendre cette crise dans l’ancienne colonie française, il convient de se reporter à sa Constitution adoptée le 29 mars 1987, révisée en dernier lieu, semble-t-il, par une loi constitutionnelle le 9 mai 2011.

La version consultée pour ce bref regard est celle du site internet de l’Association des cours constitutionnelles francophones (ACCF) (ex. ACCPUF[1]), mais elle n'est pas à jour de la révision de 2011[2], elle est donc complétée par la version de la Digithèque de matériaux juridiques et politiques qui, elle, est à jour.

L’article 134.1 de la Constitution de 1987 dispose : « La durée du mandat présidentiel est de cinq (5) ans. Cette période commence et se terminera le 7 février suivant la date des élections. »

Si l’information donnée par la presse haïtienne est exacte, le président de la République de Haïti, Jovenel MOÏSE, a été élu le 7 février 2017 conformément au texte constitutionnel.

Au regard de ce même texte, son mandat court jusqu’au 7 février 2022 et non le 7 février 2021 comme le prétend l’opposition. En effet, si l’article 134.2 de la Constitution précise, de manière aussi regrettable qu’incompréhensible, « Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 février, le président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection », le président a été élu dès le premier tour le 20 novembre 2016 avec plus de 55% des voix, malgré, il est vrai, un taux d’abstention record de plus de 80%. Il n’y a donc pas eu de difficulté particulière qui aurait empêché l’élection normale du président comme celle qui avait conduit à l’annulation d’un premier scrutin qui avait eu lieu en 2015. Le second tour qui, au départ, a été prévu le 29 janvier 2017 n’avait alors plus lieu d’être.

Par conséquent, si l’on s’en tient à ces seuls éléments, on conclurait que les membres de l’opposition haïtienne qui demandent le départ du président en affirmant que son mandat prendra fin le 7 février 2021, hormis l’éventualité d’actes graves (trahison, corruption, etc.) qu’il aurait commis et qui justifieraient sa destitution par la Haute Cour de justice (articles 185 et suivants de la Constitution), sont, sur le fondement du texte précité, des émeutiers contre l’État de droit à Haïti (ironie du sort, la Haute Cour de justice n’est autre que le Sénat, chambre haute du Parlement - assisté de la Cour de cassation du pays -, alors qu’il n’y a plus de Parlement depuis avril 2018).

Cependant, d’après ce que la presse donne à voir et à comprendre, il semble que les chambres du Parlement auraient dû être renouvelées par des élections générales le 25 avril 2018. Car l’article 111.8 de la Constitution haïtienne prévoit qu’« En aucun cas, la Chambre des députés ou le Sénat ne peut être dissous ou ajourné, ni le mandat de leurs membres prorogé. »

Pourtant, le président de la République de Haïti n’a jamais convoqué les électeurs pour procéder à cette élection, et gouverne par décret depuis cette date.

Au regard de ces éléments, tant de fait que de droit, il est possible de conclure que, quelle qu’en soit la raison, hormis une catastrophe naturelle comme celle du tremblement de terre du 12 janvier 2010[3], le président MOÏSE, en décidant de gouverner par décret depuis près de trois ans, viole la Constitution haïtienne.

Il en résulte que, en l’absence d’autres éléments concluant dans un sens contraire, cette brutalité gouvernementale expliquerait les mouvements de protestation contre le gouvernement dans le pays.

Pour sortir de ces difficultés, Jovenel MOÏSE semble annoncer des nouvelles élections et un référendum visant à adopter une nouvelle Constitution d’ici la fin de cette année 2021, et il aurait reçu le soutien de l’Organisation des États américains (OEA). On aurait pu applaudir cet appel au peuple haïtien pour réviser la Constitution. Mais seulement voilà : la procédure de révision de celle-ci est prévue par son titre XIII intitulé « Amendements à la Constitution », dont l’article 284.3 dispose : « Toute Consultation Populaire tendant à modifier la Constitution par voie de Référendum est formellement interdite. » Dans des pays où l’État de droit a un sens, aucun chef d’État n’aurait osé proposer une telle révision constitutionnelle par voie référendaire en méconnaissance d’un texte aussi clair. Pourtant, c’est ce qui se passe à Haïti en ce moment même. À moins que l'on considère que l'adoption d'une nouvelle Constitution n'est pas une révision, mais cette idée paraît saugrenue, d'autant que la Constitution n'a pas prévu une procédure spéciale pour l'adoption d'une nouvelle Constitution. Par comparaison, rappelons que, en 1958, en France, le gouvernement a dû passer par la précédure de révision prévue à l'article 90 de la Constitution de 1946 en vue d'adopter la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 dérogeant à cette procédure en vue d'adopter une nouvelle Constitution, celle en vigueur actuellement datant du 4 octobre 1958. Par conséquent, le président haïtien doit passer par la procédure de révision prévue par la Constitution haïtienne de 1987 pour pouvoir y déroger. Autrement, ce sera un coup d'Etat constitionnel et institutionnel.

Il reste à espérer que le pays sort au plus vite de cette crise politique qui tend à durer car, d’après des témoignages recueillis de Haïtiennes et Haïtiens vivant sur place, les habitants sont dans un climat d’insécurité au quotidien, marqué par le vol, le viol, lenlèvement et même l’assassinat de personnes innocentes, etc., qui est devenu insupportable à moyen et long termes.

Dimanche 10 janvier 2021

 

[1] ACCPUF : association des cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français.

[2] Mais il semble qu’on peut se fier à cette version, d’autant qu’elle est corroborée par d’autres versions en ligne, quoique sur des sites internet non officiels ou institutionnels.

[3] Sur cette catastrophe, v. Jean-Michel Defromont et al., Ravine l’Espérance. Cette semaine-là à Port-au-Prince, Éditions Quart Monde, Octobre 2017, 400 p.

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