Brèves analyses sur les observations du Conseil constitutionnel à propos des opérations de recueil des soutiens à la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris

 

Décision n° 2019-1-9 RIP du 18 juin 2020. Observations du Conseil constitutionnel sur les opérations de recueil des soutiens à la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris.

 

Cette neuvième « décision » très particulière du Conseil constitutionnel est sans doute la dernière portant sur les opérations de recueil des soutiens à la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris. Si, du point de vue juridique, cette proposition de loi quelque peu dictée par le mouvement des « gilets jaunes » et visant à empêcher la privatisation de l’entreprise publique Aéroports de Paris (ADP) peut être appréhendée sous l’angle d’un échec, du point de vue politique, elle s’apparente davantage à un succès[1] qui donne un sacré coup de frein à cette privatisation à court et à moyen termes.

Quel est l’objectif de ces observations rendues publiques sous forme de « décision » par le Conseil constitutionnel ?

Le but est de montrer que le Conseil est composé de femmes et d’hommes rigoureux, voire pouvant apparaître froids, dans l’application de la règle de droit, mais aussi d’êtres humains capables de constater et de reconnaître les insuffisances et les imperfections de certaines règles juridiques qu’ils doivent eux-mêmes appliquer ou déclarer conformes à la Constitution. Il s’agit là d’une formidable opération de communication à double face du Conseil constitutionnel qui présente un double intérêt.

D’abord, celui de simples « observations » ne signifiant rien du point de vue juridique où les plus rigoureux des observateurs en trouveront leur compte. Ensuite, celui de remarques faites par le Conseil sous la bannière d’une « décision » au sens strict de l’article 62 de la Constitution, ce qui attribue à ces observations une certaine portée « normative » pour les pouvoirs publics, les plus progressistes pourront alors, à leur tour, s’en réjouir.

Que dit le Conseil constitutionnel dans cette « décision » particulière d’observations ?

Le Conseil souligne que, pour sa première application, la procédure électronique d’application du référendum d’initiative partagée prévu à l’article 11 de la Constitution « s’est révélée suffisamment efficace pour garantir la fiabilité des résultats constatés à l’issue de la période de recueil des soutiens. »

Pour lui, « si pendant les neuf mois de recueil, le site internet a connu quelques indisponibilités du fait de problèmes techniques ou de mises à jour, elles ont été finalement peu nombreuses. » Ains, « le site a fait l’objet de peu d’attaques informatiques, que les dispositifs de sécurité ont permis de parer. »

Le juge de la rue de Montpensier observe que « les opérations de contrôle ont conduit à ne recenser que très peu de tentatives d’usurpation d’identité. Si quelques rares réclamations formées devant le Conseil constitutionnel ont porté sur ce point, celles-ci étaient insuffisamment étayées (voir le point 4.b. ci-dessous). Quelques tentatives d’utilisation frauduleuse du nom d’une tierce personne ont été décelées avant même que le soutien soit rendu public. Elles ont été signalées par le secrétaire général du Conseil constitutionnel au procureur de la République, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale. »

Cela signifie qu’il y a quand même eu des tentatives de fraude, bien qu’elles aient été interceptées. Il s’agit là d’un succès si l’on suit le Conseil constitutionnel.

Mais ce succès est tout de suite modéré : « Toutefois, cette procédure électronique de recueil des soutiens a également présenté certaines insuffisances et plusieurs défauts. Si ceux-ci n’ont pas eu de conséquences déterminantes sur l’issue des opérations, elles ont pu contribuer à altérer la confiance des citoyens dans cette procédure. »

Ces difficultés, d’ordre essentiellement technique et ergonomique (usage complexe du site vu comme peu intuitif et insuffisamment adapté à une consultation destinée à un large public, incohérence nominative entre la carte d’identité et le registre électoral unique de l’Insee, etc.) ne sont de nature à décourager le vote électronique qui demeure largement marginalisé quant à sa pratique en France.

D’ailleurs, le Conseil constitutionnel l’a dit et répété, « la plupart de ces difficultés n’ont cependant pas eu de conséquences déterminantes sur l’issue des opérations. »

S’agissant du seuil de soutiens fixé par l’article 11 de la Constitution, le Conseil précise que « l’écart séparant le nombre des soutiens enregistrés et le seuil d’un dixième des électeurs a été d’une importance suffisante pour qu’il puisse être affirmé que, en tout état de cause, les obstacles qui auraient empêché certains électeurs de soutenir la proposition de loi n’ont eu aucune incidence sur l’issue de la procédure. » Cela étant dit, le Conseil a tout de même admis qu’« Il est cependant possible que ces difficultés aient contribué à altérer la confiance de certains électeurs dans cette procédure et les aient dissuadés d’y participer. »

Conclusion du Conseil constitutionnel sur ces difficultés

La plus haute juridiction française s’adresse solennellement aux autorités de l’État en affirmant : « Les difficultés observées ci-dessus devraient conduire le ministère de l’intérieur et, plus largement, les pouvoirs publics à réfléchir aux possibles améliorations du dispositif électronique de recueil des soutiens », et cela, « sans préjudice d’éventuelles évolutions de son cadre juridique. »

Par ces mots, on voit très bien où veut en venir le Conseil constitutionnel. Il demande de rendre le dispositif plus accessible aux citoyens en faisant évoluer à la fois les règles juridiques qui l’entourent et les difficultés techniques qui a tendance à freiner sa mise en œuvre.

Mais le Conseil ne manque pas de constater que « le soutien d’une proposition de loi susceptible d’être soumise au Parlement ou à référendum en application de la Constitution doit être entouré de davantage de garanties que la signature en quelques clics d’une pétition initiée par un internaute. »

Un point particulier concerne les Néo-Calédoniennes et Calédoniens. Pour le Conseil constitutionnel, « Les modalités de contrôle des soutiens apportés par des électeurs inscrits en Nouvelle-Calédonie appellent donc une réflexion spécifique. » En effet, il y a eu des incohérences entre les informations fournies par l’Insee et celles délivrées par le pays calédonien quant à l’identification des électeurs de ce territoire ultramarin.

Le Conseil précise par ailleurs que « Le dispositif actuel permet certes de vérifier que la personne déposant son soutien dispose des informations requises pour être reconnue comme électeur au sens du registre électoral unique (REU), mais il ne garantit pas, même si un numéro de carte nationale d’identité ou de passeport est ensuite demandé sur le site, que cette personne est bien celle qu’elle prétend être. » Ainsi, un membre d’un foyer ou d’une famille peut tout à fait usurper les identités de ses colocataires et soutenir la proposition de loi en leur nom sans que ces derniers le sachent, ce qui est très problématique.

Le Conseil constitutionnel souligne également le problème de la publicité des soutiens au sens où « sa justification est parfois mal comprise, ce qui a pu susciter la méfiance de certains électeurs et les dissuader de soutenir la proposition de loi, par crainte de la révélation de leurs opinions politiques et de possibles utilisations abusives de telles informations, par exemple par leur employeur ou à des fins de prospection électorale ». Cette information en dit long sur l’état de la démocratie française et sur la pratique du principe du pluralisme politique et d’opinion. En effet, cette méfiance signifie qu’il y a un fort sentiment d’insécurité quant à l’expression et à l’exercice de la liberté d’opinion en France. Les gens ont peur en gros de dire ouvertement ce qu’ils pensent par crainte de représailles. Une telle méfiance est digne d’individus vivant dans un régime dictatorial.

Enfin, le Conseil constitutionnel réaffirme le constat qu’il a fait dès le début de sa décision-observations : « En définitive, pour une première expérience de participation citoyenne à l’échelon national, sous une forme quasi-entièrement électronique, le bilan peut rassurer quant à la faisabilité d’une procédure principalement numérique. » Ce constat du Conseil constitutionnel va dans le sens d’un élargissement de l’usage du vote électronique en matière politique en France, notamment après cette période de crise sanitaire de covid-19 ou coronavirus qui a mis le numérique au centre de la vie en société (cours à l’université, colloques, séminaires, réunions, etc. n’ont pu se tenir qu’à distance).

Le Conseil constitutionnel a également consacré un point à la formation de réclamations prévue en son sein sur ce processus de recueil de soutien

Le Conseil précise que « la formation a rejeté les réclamations de ressortissants d’autres États membres de l’Union européenne qui se plaignaient de ne pas pouvoir apporter leur soutien à la proposition de loi alors que, résidant en France, ils peuvent participer aux élections municipales et européennes. »

Ayant refusé, par une interprétation stricte de l’article 3 de la Constitution, d’admettre le droit pour les citoyens d’autres États de l’Union européenne vivant en France de pouvoir apporter leur soutien à la proposition de loi, le Conseil constitutionnel précise : « Cette interprétation ressortait d’ailleurs des travaux préparatoires de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de ceux des dispositions organiques prises pour sa mise en œuvre, selon lesquels l’électorat susceptible de soutenir une telle proposition de loi devait être le même que celui appelé à s’exprimer à l’occasion de l’éventuel référendum portant sur cette proposition. »

Mais le juge de la rue de Montpensier affirme sans appel que « la procédure reste dissuasive et peu lisible pour des citoyens susceptibles de soutenir une proposition de loi dès lors que le nombre de soutiens à atteindre est très élevé (environ 4,7 millions) et que, même dans le cas où ce nombre serait atteint, la tenue d’un référendum n’est qu’hypothétique (un examen du texte par les deux assemblées suffisant à mettre un terme à la procédure). »

 


[1] V. mes analyses précédentes sur cette procédure : http://serge-surin-advisorparis.e-monsite.com/pages/dec.html.

Ajouter un commentaire