Confirmation par le Conseil constitutionnel de l’obligation légale du propriétaire quant au délai de restitution du dépôt de garantie au locataire

Décision n° 2018-766 QPC du 22 février 2019.

Mme Sylviane D. [Majoration du dépôt de garantie restant dû à défaut de restitution dans les délais prévus]

Cette décision du Conseil constitutionnel est la première dont l’audience a été tenue hors de ses locaux au Palais-Royal à Paris. En effet, suivant une décision visant à démocratiser ses fonctions, la plus haute juridiction française a tenu cette audience le vendredi 15 février 2019 à la Cour d’appel de Metz[1].

L’article 22 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 dispose : « À défaut de restitution dans les délais prévus, le dépôt de garantie restant dû au locataire est majoré d’une somme égale à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard. Cette majoration n’est pas due lorsque l’origine du défaut de restitution dans les délais résulte de l'absence de transmission par le locataire de l’adresse de son nouveau domicile ». Cette version du texte a été introduite par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR ou encore loi Duflot.

Aux termes du l’alinéa 7 du même texte, le délai de restitution du dépôt de garantie par le propriétaire au locataire est fixé à deux mois à compter de la remise des clés.

À l’occasion d’un litige entre un locataire et une propriétaire bailleresse, celle-ci a contesté les dispositions précitées par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil constitutionnel aux motifs que les 10% de majoration imposés aux propriétaires ne restituant pas le dépôt de garantie dans le délai de deux mois prévu par le législateur serait une sanction ayant le caractère d’une punition. En effet, les sanctions ayant le caractère d’une punition doivent être fondées sur une infraction commise et le montant de la réparation du préjudice subi doit être proportionnel à celui-ci. Or, en l’espèce, la requérante estime que les 10% de majoration pour non restitution du dépôt de garantie dans le délai constitue une sanction-punition qui ne tient pas compte du préjudice réellement subi par le locataire ni même des préjudices que peuvent subir les propriétaires.

Le Conseil constitutionnel n’a pas retenu cet argument car il estime que « le législateur s’est fondé sur un élément en lien avec l’ampleur du préjudice, dans la mesure où le montant du loyer mensuel est pris pour référence comme plafond du dépôt de garantie, et a pris en compte la durée de ce préjudice. [2] » Ainsi, si, en l’espèce, la propriétaire s’estime lésée du fait de dégâts qu’aurait causés son ancien locataire, elle devra agir en ce sens sur le fondement de l’article 1240 du Code civil qui dispose : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » En attendant, elle doit restituer le dépôt de garantie au locataire conformément aux dispositions législatives contestées que le Conseil constitutionnel a confirmées en les déclarant conformes à la Constitution[3].

Mais, au-delà de la conformité à la Constitution prononcée par le Conseil constitutionnel, ces dispositions soulèvent le problème de la conservation du dépôt de garantie au seul bénéfice du propriétaire. Il convient, pour comprendre ce problème, de prendre un exemple concret.

Prenons un loyer de 2 000 euros dont le dépôt de garantie du même montant est versé à un propriétaire le 23 février 2019. Le 20 février 2029, soit dix ans plus tard, le locataire quitte les lieux en remettant les clés au propriétaire. Celui-ci ne restituera que 2 000 euros au locataire en 2029.

Pourtant, pendant ces dix années de location, entre le 23 février 2019 et 20 février 2029, si l’on admet que cette somme a été déposée sur un simple compte en banque à un taux annuel de 2%, le dépôt de garantie aura produit entre 40 et 47,8 euros d’intérêts par an (2 000 x 2 / 100 ; 2 040 x 2 / 100 ; 2 080, 8 x 2 / 100 ; etc.), soit environ 438 euros d’intérêts sur dix ans.

Cette belle somme de 438 euros produite par le dépôt de garantie du locataire reste dans la poche du propriétaire. Est-ce normal ? Certains pourraient arguer que le bénéfice des produits du dépôt de garantie pour le propriétaire est justifié par le risque qu’il aurait pris, mais l’argument ne tient pas, puisque, si le locataire ne paie pas son loyer ou s’il a commis des dégâts coûteux dans le logement, le propriétaire a toujours le droit de le poursuivre sur le fondement de la responsabilité civile prévue à l’article 1240 du Code civil précité.

Dans ce contexte, il serait plus équitable de placer les dépôts de garantie sur un compte tiers qui ne peut être débité, avant la fin du bail, ni par le propriétaire ni par le locataire. À la fin du bail, si tout se passe bien, dans l’exemple pris ci-dessus, les 2 438 euros reviendraient au locataire car le dépôt de garantie lui appartient au sens où il n’est que la prévention d’un risque d’impayé du loyer ; donc si le locataire a toujours payé ses loyers pendant les dix ans et n’a commis aucune dégradation exagérée du logement, il doit pouvoir bénéficier de l’entièreté du dépôt de garantie de départ plus les intérêts produits par ce dernier pendant les dix ans en banque. D’ailleurs, ces dépôts de garantie pourraient être utilisés pour la rénovation de logements anciens afin de les rendre plus écologiques et donc moins énergivores.

Ce système de compte tiers est d’ailleurs le régime en vigueur en Suisse. Lors du processus d’élaboration de la loi ALUR de 2014 précitée, il a été proposé à la ministre, Cécile Duflot, d’aller dans le sens de ce système de compte ; elle avait répondu que son équipe étudiait la question, mais force est de constater qu’elle n’a pas été prise en compte. Il serait temps d’y repenser afin de rétablir la justice entre le propriétaire et le locataire sur ce point particulier[4].

Serge SURIN

Samedi 23 février 2019

 

[1] V. les cinq premières minutes de la vidéo accompagnant la décision sur le site du Conseil constitutionnel : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/2018766QPC.htm.

[2] Décision n° 2018-766 QPC du 22 février 2019, §. 7. Mme Sylviane D. [Majoration du dépôt de garantie restant dû à défaut de restitution dans les délais prévus].

[3] Ibid., §. 9.

[4] Cette réflexion n’est en rien dressée contre les propriétaires, bien au contraire. On est conscient du calvaire de certains propriétaires respectant scrupuleusement la loi face à des locataires qui n’honorent en rien leurs obligations. Mais le contraire existe également.

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