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Modicité jurisprudentielle contre gratuité constitutionnelle. Validation des frais plus élevés pour les étudiants étrangers hors UE à l’université

Le Conseil d'Etat juge que des droits d'inscription plus élevés à l'université pour les étudiants étrangers hors UE sont légaux

On se souvient que le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019, avait affirmé le principe constitutionnel de gratuité des l’enseignement public du supérieur tout en admettant que ce principe n’excluait pas le paiement de droits d’inscription modiques par les étudiants[1]. La question se posait alors de savoir ce que l’on entend par modicité. Il était également question des droits d’inscription différenciés, plus élevés, que doivent acquitter les étudiants étrangers hors UE, dits « en mobilité internationale » depuis l’arrêté du 19 avril 2019 relatif aux droits d’inscription dans les établissements publics d’enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l’enseignement supérieur. La balle était depuis lors dans le camp du Conseil d’État qui, le 1er juillet 2020, a fait une passe bien moins décisive qu’on l’attendait.

La décision applicative du Conseil d’État

Par une décision du 1er juillet 2020[2], le Conseil d’État valide des frais d’inscription plus élevés pour les étudiants étrangers hors UE qui, selon lui, ne sont pas dans la même situation que les étudiants français ou ayant vocation à rester durablement sur le territoire national. Appliquant purement simplement, la décision du Conseil constitutionnel précitée, il n’a pas non plus vu d’illégalité dans l’imposition de droits d’inscription « modiques » dans l’enseignement supérieur.

Validation des droits d’inscription plus élevés pour les étudiantes et étudiants « en mobilité internationale »

En effet, le juge de l’aile droite du Palais Royal a admis que « s’il est soutenu que l’augmentation des droits d’inscription applicables aux étudiants en mobilité internationale relevant de l’article 8 de l’arrêté ne permettra pas d’améliorer l’attractivité de la France et de constituer un levier de financement pour l’enseignement supérieur, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’arrêté litigieux serait à ce titre entaché d’erreur manifeste d’appréciation. De même, cet arrêté a pu, sans être entaché d’erreur manifeste d’appréciation, ne pas assimiler à la catégorie des étudiants mentionnés à ses articles 3 à 6 les lycéens étrangers scolarisés dans des établissements d’enseignement français à l’étranger. Enfin, la circonstance que la situation des mineurs étrangers isolés ou des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance en France n’ait pas été envisagée de façon spécifique n’entache pas l’arrêté attaqué d’erreur manifeste d’appréciation[3] ».

Ainsi, le Conseil d’État fait une différence nette entre le droit et la conduite des affaires internationales de la France qui est d’ordre politique. En gros, les frais plus élevés imposés aux étudiants étrangers, à l’exclusion de ceux de l’UE et des pays sous accord avec la France, portent, certes, un coup dur à l’attractivité de la France sur le plan international, mais, du point de vue strictement juridique, cette politique internationale du gouvernement n’est pas pour autant illégale.

Victoire de la modicité sur la gratuité

La plus haute juridiction administrative s’est ainsi appuyée sur la décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019 du Conseil constitutionnel pour constater que « l’exigence constitutionnelle de gratuité ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants.[4] ». Par conséquent, les universités et les autres établissements publics d’enseignement supérieur peuvent continuer à percevoir des frais d’inscription.

Cette décision du Conseil d’État est accompagnée d’un communiqué de presse datant du même jour, plus court et censé être plus « clair », dans lequel le Conseil d’État confirme que sa décision se fonde sur un plan « strictement » juridique, laissant ainsi au gouvernement le choix de conduire la politique de l’enseignement supérieur qu’il souhaite.

Mais la question se pose aussi de savoir si, compte tenu de cet arrêt du Conseil d’État, les universités et les autres établissements publics d’enseignement supérieur seront obligés d’augmenter les frais d’inscription pour les étudiantes et étudiants étrangers hors UE.

Deux cas de figure

Cette question appelle à distinguer deux cas de figure, celui des étudiants français et celui des étudiants dit « en mobilité internationale » (comprendre étudiants en formation de courte durée).

Tout d’abord, il convient de rappeler que l’arrêté susvisé du 19 avril 2019 ne laisse aucunement à l’appréciation des établissements publics d’enseignement supérieur le choix d’une politique d’exonération générale de droits d’inscription pour les étudiants, qu’ils soient français ou étrangers.

Quant au premier cas de figure, il est relatif aux étudiants français, les frais d’inscription pour les diplômes nationaux sont fixés par arrêté ministériel chaque année. Pour l’année universitaire en cours (2019-2020), il s’agit de l’article 3 de l’arrêté sus-rappelé[5], dont l’annexe comprend un tableau 1 mentionnant le montant des droits d’inscription pour chaque diplôme national. Cet arrêté qui est l’objet de l’arrêt du Conseil d’État du 1er juillet 2020, compte tenu de la différence qu’il fait naître entre les étudiants français et en formation de longue durée, d’une part, et ceux « en mobilité internationale », d’autre part.

Les établissements n’ont donc pas à apprécier ces droits d’inscription, soit les étudiants sont boursiers ou bénéficient d’aides individuelles prévues suivant leur situation personnelle, donc ils en sont exonérés, soit ils ne le sont pas, donc ils les acquittent. Cette règle générale ne s’applique cependant pas pour les diplômes dits d’établissement et assimilés qui ne sont pas des diplômes nationaux et où les établissements fixent le montant des droits d’inscription comme bon leur semble.

S’agissant du second cas de figure, il concerne les étudiantes et étudiants « en mobilité internationale ». Pour ces derniers, les droits d’inscription sont également fixés par l’article 8 de l’arrêté susvisé qui renvoie au tableau 2 de son annexe. Les établissements n’ont là non plus pas un droit général d’exonération (on y reviendra). Mais le Conseil d’État, dans son arrêt du 1er juillet 2020, comme le Conseil constitutionnel avant lui dans sa décision du 11 octobre 2019, a pris soin de ne pas répondre à la question devenue politique de savoir si le principe de gratuité, qui doit composer avec celui de modicité, pouvait bénéficier à tout étudiant du supérieur, quelle que soit son origine géographique ou la durée de sa formation en France. Il s’est contenté de dire que les droits plus élevés fixés dans le tableau 2 de l’arrêté sont légaux. Ce point est problématique dans la mesure où modicité et gratuité ne sont pas porteurs du même sens, au sens où ils ne sont pas synonymes. Ainsi, si le Conseil d’État peut se vanter de ne pas rendre une décision politique mais purement juridique dans son arrêt du 1er juillet 2020, le Conseil constitutionnel, dont le penchant politique a beaucoup été une fois de plus critiquée[6] pour sa décision très problématique à propos de la loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19[7], ne peut pas en dire autant.

Ainsi, il convient d’appliquer les droits se trouvant dans les deux tableaux de l’annexe de l’arrêté susvisé qui, désormais, ne suscite plus de doute quant à la légalité de son contenu puisque le Conseil d’État le valide dans son intégralité. Cela signifie que les établissements doivent augmenter les droits pour les étudiants étrangers conformément au tableau 2 de l’annexe de l’arrêté du 19 avril 2019.

Gare aux exonérations généralisées pour tous les étudiants étrangers

L’article 17 de l’arrêté du 19 avril 2019 dispose : « Les étudiants sont exonérés du paiement des droits d’inscription dans les conditions prévues par les articles R. 719-49 à R. 719-50-1 du code de l’éducation. »

L’article R. 719-49 du Code de l’éducation permet l’exonération de plein droit de tous les étudiants boursiers, ainsi que les pupilles de la nation.

S’agissant des étudiants spécifiquement étrangers, deux dispositifs exceptionnels d’exonération existent.

D’abord, l’article R719-49-1 du Code de l’éducation, créé par l’article 2 du décret n°2019-344 du 19 avril 2019, permet au ministre de l’enseignement supérieur d’exonérer partiellement les étudiants étrangers préparant un diplôme national ou d’ingénieur du paiement des droits d’inscription. La décision de procéder à une telle exonération s’appuie sur la politique étrangère culturelle et scientifique de la France et tient compte de la situation personnelle des étudiants, y compris leur parcours de formation. On le voit, ce dispositif d’exonération est limité et son attribution est notifiée par le ministre non seulement à l’étudiant, mais également à l’établissement où il est inscrit. Cette limite du dispositif est actée par un arrêté conjoint du ministre des affaires étrangères, du ministre chargé du budget et de celui de l’enseignement supérieur qui fixe le nombre maximal d’exonérations, leur durée maximale et leur montant pour chaque diplôme.

Ensuite, l’article R. 719-50-1 du Code de l’éducation prévoit un second dispositif d’exonération totale ou partielle des étudiants étrangers. Ce dispositif est cantonné à deux conditions. Il prévoit un premier cas où les étudiants concernés peuvent en faire la demande en raison de leur situation personnelle. Il vise spécifiquement les étudiants ayant le statut de réfugiés et les travailleurs privés d’emploi. Le dispositif prévoit un second cas pour « les étudiants dont l’inscription répond aux orientations stratégiques de l’établissement ». Ce texte précise que la décision d’exonération est alors « prise par le président de l’établissement en application de critères généraux et des orientations stratégiques fixés par le conseil d’administration, dans la limite de 10 % des étudiants inscrits, non comprises les personnes mentionnées à l’article R. 719-49 ».

Ces dernières dispositions font intervenir dans l’exonération des droits d’inscription des étudiants, dont les étrangers hors UE, l’organe politique des établissements. C’est sur cette base que certains établissements, comme l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ou encore l’Unicaen, ont, dès la phase préparatoire de l’arrêté, annoncé qu’ils refuseraient de l’appliquer et ont effectivement refusé de l’appliquer pour la rentrée 2019-2020, et ils comptent sans doute sur une nouvelle politique gouvernementale pour sortir de ce dilemme. C’est ainsi à la gouvernance des établissements de se prononcer d’un point de vue politique face à la nomenclature des droits d’inscription fixés pour les étudiants étrangers hors UE. Après tout, la force du droit ne repose que sur son acceptabilité.

Mais certains établissements pourraient avoir tendance à excéder ce qu’il convient d’appeler leur pouvoir d’exonération fondé sur des cas exceptionnels et limités pour en aboutir à un pouvoir d’exonérations générales qui, en définitive, aurait pour conséquence de remettre totalement en cause le contenu de l’arrêté du 19 avril 2019.

Sur ce point, il convient de souligner un élément important. Certains établissements ne faisant pas partie des établissements à grosses cohortes d’étudiants étrangers hors UE, refugiés ou privés d’emploi, la décision du 1er juillet 2020 du Conseil d’État ne les affecte pas, dans la mesure où le nombre de ces étudiants en leur sein est bien en deçà du seuil de 10% pour lequel une exonération demeure possible. En revanche, au sein de bien des établissements dont le nombre d’étudiants concernés dépasse largement le seuil de 10%, l’exonération ne peut se limiter qu’à ce seuil, les autres doivent acquitter les droits d’inscription augmentés prévus par l’arrêté.

Dans ce contexte, les établissements d’enseignement supérieur doivent rester prudents de manière à ne pas excéder la limite de leur pouvoir d’exonération qui ne leur permet pas de généraliser les exonérations à tous les étudiants. En effet, même si l’État ne semble pas vouloir contrôler ce que font les établissements, ceux d’entre eux qui auraient tendance à abuser de cette disposition : « Les étudiants dont l’inscription répond aux orientations stratégiques de l’établissement » (article R719-50 du Code de l’éducation), pour généraliser les exonérations des étudiants étrangers hors UE, contreviendraient à l’arrêté de 2019. Juridiquement parlant, si les établissements disposaient d’un tel pouvoir d’exonérations générales, il n’y aurait pas eu tant de débats autour de l’arrêté susvisé qui a donné lieu à deux décisions historiques du Conseil constitutionnel en 2019 et du Conseil d’État en 2020.

 

Samedi 25 juillet 2020

 


[1] Décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019. Union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales et autres [Droits d’inscription pour l’accès aux établissements publics d’enseignement supérieur]. https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/2019809QPC.htm, Consulté le 25 juillet 2020.

[3] Ibidem, Cons. 33.

[4] Ibid., Cons. 15.

[5] V. l’article 3 et le tableau 1 de l’arrêté du 19 avril 2019 relatif aux droits d'inscription dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'enseignement supérieur (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=4BB4824D43B8C78BE301B8D3B3%20%206A8554.tplgfr23s_3?cidTexte=JORFTEXT000038396885&dateTexte=&oldAction=rechJO&catego%20%20rieLien=id&idJO=JORFCONT000038396509).

[6] Estelle Benoit, « Naissance de la théorie des ‘circonstances particulières’ en droit constitutionnel », AJDA 2020, n° 13, p. 706 ; Michel Verpeaux, « Loi organique d’urgence sanitaire et question prioritaire de constitutionnalité », AJDA 2020, p. 839 ; Julien Jeanneney, « La non-théorie des ‘circonstances particulières’ », AJDA 2020, p. 843.

[7] Décision n° 2020-799 DC du 26 mars 2020. Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

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