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Feu vert du Conseil constitutionnel à la loi de transformation de la fonction publique

Le Conseil constitutionnel a validé toutes les dispositions de la loi de transformation de la fonction publique qui ont été contestées devant lui.

Décision n° 2019-790 DC du 1er août 2019. Loi de transformation de la fonction publique

 

I. Bref passage en revue des éléments les plus saillants de la décision du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a validé sans aucune réserve les dispositions de la loi de transformation de la fonction publique qui ont été contestées devant lui.

Et même l’article 16 de la loi qui porte sur l’élément sans doute le plus contesté du texte, à savoir l’extension du recours aux agents contractuels[1], notamment pour certains postes de direction, dans la fonction publique, est complètement validé.

Balayant tous les arguments des requérants[2], portant notamment sur un principe qui exigerait que les emplois permanents de la fonction publique soient occupés par des fonctionnaires, la rupture du principe d’égalité entre les agents issus d’un concours et les contractuels, l’interdiction des fonctions régaliennes aux agents contractuels, l’incompétence négative du législateur qui renvoie à un décret en Conseil d’État la détermination de la liste des fonctions publiques ouvertes aux contractuels, etc., le Conseil constitutionnel n’a rien trouvé à reprocher au législateur.

Il a ainsi jugé : « Il résulte de ce qui précède que le législateur a précisément défini les catégories d’emplois publics pouvant, par exception au principe fixé par les lois précitées selon lequel les emplois publics sont occupés par des fonctionnaires, être pourvus par des agents contractuels soumis à un régime de droit public, ainsi que les conditions dans lesquelles le recrutement de tels agents est autorisé pour les autres emplois publics. À cet égard, il pouvait, sans méconnaître l’étendue de sa compétence, renvoyer au pouvoir réglementaire la détermination des emplois de l’État, parmi ceux de direction, ouverts à un recrutement par la voie contractuelle ainsi que la liste des établissements publics dont les caractéristiques et l’importance justifient que leur directeur général puisse être un agent contractuel. De la même manière, le législateur pouvait prévoir qu’il est recouru à des contractuels pour les emplois publics « lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient » et « pour les emplois publics pour lesquels une formation statutaire n’est pas nécessaire ». Ces notions, comme celles d’« accroissement temporaire » et d’« accroissement saisonnier » d’activité, sont suffisamment précises au regard des exigences imposées au législateur par l’article 34 de la Constitution.[3] »

Le juge de la rue de Montpensier poursuit en constatant qu’« il appartient aux autorités compétentes, sous le contrôle du juge, de fonder leur décision de nomination sur la capacité des intéressés à remplir leur mission[4] » et que « le recrutement d’un agent contractuel occupant un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient fait l’objet d’un contrôle déontologique, qui donne lieu, le cas échéant, à un avis de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique[5] ». Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel conclut que « les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d’égal accès aux emplois publics[6] ».

De la même manière, la plus haute juridiction française, avant d’écarter les arguments des requérants portant sur la rupture du principe d’égalité entre les fonctionnaires et les futurs agents contractuels dans les postes de direction[7], observe que « conformément à l’article 32 de la loi du 13 juillet 1983, sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, sont applicables aux agents contractuels les chapitres II et IV de cette loi, relatifs respectivement aux garanties des fonctionnaires et à leurs obligations et à leur déontologie[8] » et que « tout agent contractuel de droit public est soumis aux obligations résultant des principes d’égalité et de continuité inhérents au service public[9] »; et, s’agissant des fonctions « régaliennes » qui seraient réservées aux fonctionnaires, le juge constitutionnel précise qu’« aucune exigence constitutionnelle n’impose que tous les emplois participant à l’exercice de ‘fonctions régaliennes’ soient occupés par des fonctionnaires[10] ».

Mais il faudra suivre de près l’application des différentes dispositions de cette loi très contestée par la gauche de l’échiquier politique car il est fort à parier que certaines d’entre elles feront l’objet de questions prioritaires de constitutionnalité au moment où leurs conséquences concrètes apparaîtront. En effet, le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur l’ensemble des dispositions de la loi, loin de là. Et, comme il a pris l’habitude de le préciser, le Conseil constitutionnel précise dans un paragraphe conclusif qu’il « n’a soulevé d’office aucune question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision[11] ».

II. Une décision ouvrant la voie à une poursuite subtile du mécanisme de la révision générale des politiques publiques (RGPP)

Dans sa rédaction issue de cette loi de transformation de la fonction publique, le I de l’article 15 de la loi du 13 juillet 1983 prévoit que lorsqu’une activité d’une personne publique employant des fonctionnaires est transférée à une personne morale de droit privé ou à une personne publique gérant un service public industriel et commercial, des fonctionnaires exerçant cette activité peuvent être détachés d’office, pendant la durée du contrat liant la personne publique à l’organisme d’accueil, sur un contrat de travail conclu à durée indéterminée auprès de ce dernier.

Le Conseil constitutionnel souligne à juste titre que « le lien de service entre le fonctionnaire et la personne publique qui l’emploie ne relevant pas d’une relation contractuelle, le détachement d’office de l’intéressé ne saurait, en lui-même, méconnaître la liberté contractuelle[12] ». Il fait donc une nette différence entre fonction publique et situation contractuelle de droit privé. Cependant, le Conseil ne semble pas prompt à tirer les conclusions que l’on pouvait attendre de cette distinction.

En effet, il ajoute que « l’établissement d’un contrat de travail entre l’agent détaché et l’organisme qui l’accueille constitue la conséquence nécessaire d’un tel détachement d’office puisqu’il convient d’organiser la relation de travail entre l’agent et l’organisme qui l’accueille, lequel est soumis, en cette matière, au droit privé et non au droit public[13] ». Cette position du Conseil constitutionnel montre que le rapprochement entre fonction publique et travail salarié, dénoncé ou applaudi depuis longtemps[14], est de plus en plus visible, ce qui atténue la différence qu’il a pourtant faite entre ces deux mondes professionnels.

Par ailleurs, et c’est là un élément significatif, le Conseil constitutionnel, par cette décision, permet, peut-être sans le savoir ni le vouloir (?), à l’État de poursuivre les objectifs de la réforme initiée par Nicolas Sarkozy en 2007, connue sous la dénomination de « Révision générale des politiques publiques », dit RGPP[15] en vue de réduire les dépenses publiques. Il convient de revenir sur le contexte de cette politique pour mieux démontrer le lien avec cette décision du Conseil constitutionnel et la loi qui en est l’objet.

Préalablement à la mise en œuvre de la RGPP, une délégation de parlementaires composée notamment du Sénateur Philippe Marini[16] et du député Didier Migaud[17], a été dépêchée à Ottawa, au Canada, pour étudier la manière dont ce pays avait réussi en quelques années à réduire drastiquement ses dettes et ses déficits publics dans les années 1990, afin d’envisager d’entreprendre la même voie en France. Mais l’on sait que le statut général de la fonction publique française n’a pas permis d’importer purement et simplement le mode de procédé du gouvernement canadien. La RGPP se présente ainsi comme une adaptation française de la politique de la fonction publique canadienne mise en place dans ce pays dans les années 1990. En effet, il est impossible de licencier des fonctionnaires en France, alors que le Canada n’avait aucune contrainte pour licencier nombre de ses agents publics dans les années 1990 afin de soulager ses charges. Malgré tout, cette mission parlementaire a permis d’imaginer et de dessiner le contour de la RGPP qui s’est notamment traduit par le principe d’un départ sur deux à la retraite dans la fonction publique ne sera pas remplacé. Mais le gouvernement français demeurait contraint au regard au regard du statut de la fonction publique.

Cette décision du Conseil constitutionnel permet d’accélérer le principe de la RGPP. En effet, après avoir précisé que le législateur peut transformer le statut de fonctionnaire en celui d’un salarié de droit privé, fut-ce en CDI, le juge de l’aile gauche du Palais-Royal a pu conclure : « Il résulte de ce qui précède que les paragraphes I et III de l'article 15 de la loi du 13 juillet 1983 ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle. Ces dispositions, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.[18] »

Enfin, cette loi de transformation de la fonction publique, tel que son esprit est analysé et interprété par le Conseil constitutionnel, pourrait permettre une remise en cause en règle du statut des fonctionnaires et surtout de leur nombre en passant outre ce qu’on appelait jusqu’ici « la Constitution de la fonction publique », à savoir le statut de 1983. En effet, si les fonctionnaires de France Télécom ont été affectés dans l’entreprise privée que celle-ci était devenue dans les années 1990[19], ils gardaient leur statut de fonctionnaires jusqu’à la retraite. Dans les situations prévues par cette loi, on va plus loin ; d’anciens fonctionnaires seront transférés à des organismes de droit privé sous un autre statut, celui de salariés de droit privé en CDI. Ainsi, ce que l’État n’avait pas réussi à faire avec la révision générale des politiques publiques (RGPP) en 2007, il y parvient en 2019 de manière très subtile à travers un stratagème bien ficelé et validé par le Conseil constitutionnel. Dans ces conditions, on peut craindre que l’État précipite le passage de certains établissements publics administratifs (EPA) à un statut de service public industriel et commercial (SPIC) ou la reprise d’activités publiques par des entreprises privées afin de se débarrasser à peu de frais d’une partie de ses fonctionnaires.

 

 

[1] Décision n° 2019-790 DC du 1er août 2019, §. 15. Loi de transformation de la fonction publique.

[2] Ibid., §§. 16-19.

[3] Ibid., §. 27.

[4] Ibid., §. 32.

[6] Ibid., §. 34.

[7] Ibid., §. 37.

[8] Ibid., §. 35.

[9] Ibid.

[10] Ibid., §. 36.

[11] Ibid., §. 67.

[12] Ibid., §. 63.

[13] Ibid., §. 64.

[14] Certains ont dénoncé une « banalisation de la fonction publique ». Sur ce point, v. Joël Mekhantar, « Les principes généraux du droit du travail dans les fonctions publiques », Revue d’actualité juridique française, Juin 2008, https://www.pimido.com/droit-public-et-prive/droit-administratif/fiche/principes-generaux-droit-travail-fonctions-publiques-75001.html, Consulté le 1er août 2019 ; Jean-David Dreyfus, « Intérim et fonction publique peuvent-ils faire bon ménage ? », Blog Dalloz, 16 mai 2008. La jurisprudence de l’UE est également considérée comme un élément instigateur de cette banalisation depuis les années 1980 : CJCE 17 décembre 1980, Commission c/ Belgique ; CJCE 30 septembre 2004, C-319/04, Serge Briheche ; CJCE 7 septembre 2006, C-180/04, Andrea Vassallo c/ Azienda Ospedaliera Ospedale San Martino di Genova e Cliniche Universitarie Convenzionate.

[15] V. Rapport d’information n° 4019 du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de la révision générale des politiques publiques (RGPP), François Cornut-Gentille et Christian Eckert (rapp.).

[16] Ibid., pp. 44 s.

[17] Ibid., pp. 50 s.

[18] Décision n° 2019-790 DC du 1er août 2019, §. 66. Op. cit.

[19] CE Ass. gén.18 novembre 1993, Avis n° 355255.

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