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LE PRELEVEMENT A LA SOURCE DES IMPÔTS SUR LES REVENUS SALARIES

LE PRÉLÈVEMENT À LA SOURCE :

UNE BONNE IDÉE QUI POURRAIT TOUTEFOIS PÉNALISER UNE FOIS DE PLUS LES GÉNÉRATIONS FUTURES

 

Table des matières

Introduction

I.      Une réforme ancienne

A)         De 1967 à 2012

B)         De 2012 à 2015

II.         Une réforme pouvant creuser les inégalités intergénérationnelles

A)         Une double peine pour les générations futures

B)         La nécessité d’une réforme plus large

Conclusion

 

Introduction

 

Le prélèvement à la source des cotisations au titre des impôts sur les revenus salariés refait encore surface après près de 50 années de débats. Les débats sur cette question reviennent à chaque fois que la question de l’optimisation ou de la fraude fiscale est posée.

Le prélèvement à la source permettrait à l’État de prélever directement tous les mois – avant même le versement du salaire – le montant de l’impôt qui correspondant à ce salaire. L’idée est – bien qu’on ne le mette pas trop en avant dans les débats médiatico-politiques – de corriger les risques de fraude en dissimulant des salaires ou encore d’évasion fiscale. Cela permettrait également d’alléger le coût de la collecte de l’impôt sur le revenu pour la puissance puissance publique. Il ne faut pas oublier que la puissance publique, les administrations publiques locales comme nationales, ou encore l’État, c’est nous !

La France est l’une des rares pays dans le monde à ne pas appliquer le prélèvement à la source. La plupart des grands États industrialisés du monde et près de l’ensemble des pays de l’Union européenne fonctionnent ainsi depuis bien longtemps. On parle du Japon notamment qui a adopté cette mesure depuis les années 1900.

De la Magna Carta au Royaume-Uni en 1215 à nos jours en passant par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC de 1789) en France, les questions liées à la contribution des citoyens pour l’entretien de l’État n’ont jamais cessé.

Rappelons que l’article 13 de la DDHC de 1789 dispose : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » Cet article est le fondement juridique constitutionnel de nos contributions à l’impôt de toutes sortes, locales comme nationales.

Mais l’impôt et un tel prélèvement à la source désormais débattu pose une question juridique importance : celle du consentement à l’impôt. Ce consentement à l’impôt ne sera-t-il pas remis en cause par ce prélèvement à la source ? Ne faudrait-il pas reposer la question du consentement à l’impôt au peuple français dans le cadre de cette grande réforme qui s’annonce ? Car il semble que ce n’est ni la même chose, ni une petite chose, que de voir prélever sur son salaire chaque mois une somme, alors qu’auparavant chacun(e) déclara personnellement d’abord ses revenus salariés avant prélèvement d’impôt – ce qui était une forme de consentement expresse à l’impôt – bien que symbolique car la déclaration est juridiquement obligatoire quoi qu’il en soit.

Le principe du consentement à l’impôt est doublement prévu dans notre bloc de constitutionnalité. Tout d’abord, l’article 14 de la DDHC de 1789 prévoit : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. » C’est là un premier fondement juridique constitutionnel du consentement à l’impôt qui est un héritage de la Révolution française qui – rappelons-le – était provoquée par des questions d’impositions qu’on appelle aujourd’hui le « ras-le-bol » fiscal.

Ensuite, l’article 47, al. 1er, de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose : « Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique. » Cette disposition de la loi fondamentale de 1958 est le second fondement juridique constitutionnel du principe du consentement à l’impôt. Elle renvoie à la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, dite LOLF, qui a mis « laconiquement » fin à la « gabegie financière » que permettait l’ordonnance du 2 janvier 1959 applicable aux lois de finances jusque dans les années 2000 (la LOLF n’étant entrée en vigueur que progressivement jusqu’en 2007 avec la révision générale des politiques publiques, dite RGPP, voulue par Nicolas Sarkozy).

Cette réforme du prélèvement obligatoire sur les salaires est une réforme ancienne (I) qui, néanmoins, si elle était faite sans prendre la dimension globale de toute une série de questions sociétales, pourrait creuser davantage les inégalités entre les générations au détriment des plus jeunes (II).

  1. Une réforme ancienne

 

En effet, la question du prélèvement à la source sur les revenus salariés ne remonte pas à hier. Un petit historique des débats sur cette question nous conduira à présenter ce qu’il en a été de 1973 à 2012 (A) et de 2012 à 2015, voire au-delà (B).

  1. De 1967 à 2012

 

C’est Jacques Chirac alors secrétaire d’État à l’économie qui va initier le prélèvement à la source en 1967. Mais il a vite abandonné son initiative face aux réticences du Parlement.

En 1973, Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre de l’économie et des finances, a déclaré : « La France avait conservé une fiscalité démodée et d'application difficile. Tous les pays modernes, même l'Union soviétique, pratiquent le prélèvement à la source qui est le système le plus simple. D'ailleurs, je suis persuadé que quand on l'aura clairement expliqué aux Français, ils seront, à une très large majorité, favorables à ce principe. » (Valéry Giscard d'Estaing, Conférence de presse de présentation du budget 1974, Septembre 1973).

Le ministre a ajouté : « Moi j'ai toujours été relativement favorable à la retenue à la source. Elle est conforme à une saine gestion de l'impôt et à une vie plus normale des individus qui sont moins empoisonnés que dans notre système actuel. » (Ibid.).

En octobre 1973, Giscard a  logiquement mis cette proposition dans le projet de loi de finances pour 1974. Le Parlement l’a rejetée car jugée d’une trop grande complexité, et, surtout, la déclaration autonome des contribuables de leurs revenus est d’une importance très symbolique pour les représentants du peuple, celle du consentement à l’impôt. En effet, le fait de déclarer soi-même ses revenus sur lesquels l’impôt sera calculé, on donne par là-même son consentement exprès au prélèvement de cet impôt.

Des tentatives de remettre sur pied la réforme dans les années 1980, 1990 et 2000 ont également conclu sur un échec. Mais François Hollande va en quelque sorte remettre le débat sur cette question sur la table dans ses 60 engagements ou propositions lors de sa campagne en 2012.

  1. De 2012 à 2015

 

Les 60 propositions de François Hollande (voir le site du Parti socialiste) faisait état de la volonté d’une « grande réforme fiscale » (p. 15) du candidat. Celui-ci, dans la dernière phrase de l’engagement n° 17 (pp. 15-16), prévoyait ceci : « Je renforcerai les moyens de lutter contre la fraude fiscale. »

On peut fort bien voir dans cette réforme fiscale annoncée une application de l’engagement pris devant les Français en 2012 de lutter contre la fraude fiscale. Le prélèvement à la source limiterait, en effet, les risques d’évasion fiscale ou, du moins, l’ampleur de cette évasion.

Ainsi, de l’engagement du candidat Hollande en 2012 à ce débat qui s’ouvre en cette année 2015, l’idée du prélèvement à la source des impôts sur les revenus salariés semble être en bonne voie de concrétisation.

[Un aparté. L’entrée en vigueur de la réforme est prévue pour 2018 pour l’instant. On a une petite idée du choix de cette date. En effet, François Hollande est conscient qu’il ira en campagne en 2017 avec une impopularité sans précédent par rapport aux anciens présidents de la République sortants qui se représentent. Ainsi, envoyer l’application de la réforme en 2018 enlèvera au moins une épine – celle des mécontents de la réforme – parmi les nombreuses épines qui seront dans les pieds du président-candidat. Et puis, s’il n’est pas réélu – ce qui est plus que probable – la droite et Les Républicains notamment devront appliquer la réforme avec le risque pour eux de faire face aux mécontentements. Ce serait donc une responsabilité partagée de la réforme entre la gauche et la droite.]

Mais cette réforme doit être murement pensée pour éviter de rapprocher davantage l’épée de Damoclès par-dessus de la tête des jeunes générations.

  1. Une réforme pouvant creuser les inégalités intergénérationnelles

 

Le prélèvement à la source sur les revenus salairiés paraît – a priori – une bonne idée. Mais elle pourrait bien devenir une « fausse-bonne idée » pour les générations futures, si certaines précautions ne sont prises. Cette réforme fiscale risque, en effet, de représenter une double peine pour les jeunes (A) sans une mure et nécessaire réflexion en même temps sur le financement de la vie sociale en général (B).

  1. Une double peine pour les générations futures

 

Pour les générations travailleuses d’à partir de 2018, date prévisionnelle d’entrée en vigueur de la réforme, le prélèvement à la source peut leur infliger, en effet, une double peine.

La première peine est un risque d’appauvrissement de ces générations – ce qui creusera encore plus les inégalités entre elles et leurs ainés. En effet, par la « fameuse année blanche » dont on parle dans les médias, les générations d’avant 2018 auront gagné une année de salaire sans payer d’impôts dessus alors que les générations travailleuses d’à partir de 2018, elles, elles en paieront dès le premier euro gagné.

La seconde peine des générations futures, dans cette affaire, c’est l’injustice que cette réforme, si elle n’est pas plus largement pensée, fera naître à l’égard des générations futures. Il ne faut pas oublier que celles-ci devront payer la retraite des générations des retraités avec des moyens de plus en plus limités. Dans les années 1970 / 2000, il était très facile d’obtenir un prêt immobilier car les salaires étaient stables, il y avait plus de contrats à durée indéterminée, il y avait plus de confiance dans l’avenir – ce que les générations actuelles n’ont pas et que les générations à venir auront encore moins. Ceci, disons-le, est dû fait que les générations de l’époque passée n’ont pas du tout pensé aux jeunes générations, elles se sont « gabandées » – comme diraient les Québécois – dans et avec les richesses de l’État sans penser à l’environnement et à la baisse considérable des ressources naturelles. « Gabander » est bien le comportement irresponsable ou de vagabondage budgétaire des gouvernants passés et même actuels vis-à-vis des jeunes et c’est bien le sens de l’expression « gabegie financière » que la France a connu et qu’elle continue encore à connaître.

Et cette double peine est accompagnée par la pression fiscale sur les salariés et par la divulgation de leurs données personnelles fiscales quant à la collecte de celles-ci par les employeurs qui auront sans doute la tâche de collecteurs de ces impôts à la place et pour le compte de l’État.

Pour éviter cette double peine aux générations futures, il semble plus que nécessaire de penser le prélèvement à la source sur l’impôt sur le revenu salarié dans le cadre d’une réforme plus globale du financement de la vie sociale.

  1. La nécessité d’une réforme plus large

 

Il est en effet nécessaire de rééquilibrer le financement de la vie sociale entre les jeunes qui ont toujours plus de charges que de ressources et les vieilles générations qui ont bénéficié des effets des Trente Glorieuses.

Bien que les jeunes générations puissent mieux contrôler leurs dépenses en temps réel sans penser à ce qu’elles devront payer des impôts à la fin de l’année sans en connaître précisément le montant, seul « bienfait » pour elles du prélèvement à la source pour l’instant, elles seront perdantes dans l’affaire si le prélèvement à la source n’est pas accompagné d’une réforme plus large du coût des retraites des anciennes générations dont ils ont la charge très lourde de payer avec moins de revenus. Le rapport du Conseil d'orientation des retraites du 10 juin 2015 relatif aux évolutions et perspectives des retraites en France a souligné qu'"En 2012, le niveau de vie moyen des retraités équivalait à 103% de celui des actifs". Est-ce normal que le niveau de vie des anciens (inactifs) soit plus élevé que celui des modernes (actifs) ? Accepter cela reviendrait à accepter en quelque sorte une société en déclin (La Lettre de la DAJ N° 190, jeudi 25 juin 2015).

Les vieilles générations doivent être davantage mises à contribution pour soulager les jeunes et futures générations. Ne l’oublions pas, la Révolution française a eu pour élément déclencheur les impôts ou, plus précisément, la pression fiscale. Si un tel rééquilibre n’est pas pensé dans le cadre de la réforme qui s’annonce, il pourrait bien déboucher sur une seconde révolution fiscale à l’image de celle de 1789.

 

Conclusion

 

Enfin, cette fois-ci le gouvernement semble être particulièrement motivé pour mettre en œuvre de manière concrète cette réforme.

L’année d’enclenchement d’une telle réforme est hautement symbolique car de la Magna Carta en 1215 au Royaume-Uni à ce prélèvement à la source en 2015 en France – bien que l’entrée en vigueur de la réforme soit attendue pour 2018, elle aura été enclenchée en 2015 – 800 cents ans se sont écoulés. Et cette même année 2015, certains « célèbrent » les 200 ans de la chute de Napoléon à Waterloo en 1815. Cela rappelle des époques de notre histoire où le peuple français finançait des causes qui ne le servaient pas, ni directement, ni indirectement.

La réforme paraît a priori une bonne idée, mais elle doit prendre en compte la charge toujours plus lourde des générations futures afin que celles-ci ne soient pas nos esclaves, de même que nous sommes, en quelque sorte, les esclaves des générations passé.

Serge Surin, Note d'actualité, jeudi 18 juin 2015.

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