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CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE CONSTITUTIONNELLE DU SAMEDI 16 FEVRIER 2019

Modération du privilège des avocats par rapport aux parties / limitation du pouvoir des services des douanes dans la communication des données de connexion

La modération du privilège des avocats par rapport aux parties représentées et non représentées

 

Décision n° 2018-765 QPC du 15 février 2019

M. Charles-Henri M. [Droit des parties non assistées par un avocat et accès au rapport d’expertise pénale]

L’article 167 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures accorde une forme de privilège aux avocats par rapport aux parties, représentées ou non représentées, dans l’accès aux documents d’expertise intéressant l’instruction pénale.

En effet, l’alinéa 2 de l’article 167 dispose : « L’intégralité du rapport peut aussi être notifiée, à leur demande, aux avocats des parties par lettre recommandée. Si les avocats des parties ont fait connaître au juge d’instruction qu’ils disposent d’une adresse électronique, l’intégralité du rapport peut leur être adressée par cette voie ». Ainsi, seuls les « avocats des » parties peuvent avoir accès aux résultats d’un rapport d’expertise et non celles-ci elles-mêmes ; si bien que si les avocats ne souhaitent pas communiquer l’expertise aux parties intéressées, celles-ci sont dans l’impossibilité d’y avoir accès, ce qui paraît particulièrement incongru.

C’est cette incongruité qui a conduit le requérant à soutenir devant le Conseil constitutionnel que « ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre les parties assistées d’un avocat et les autres en ce qu’elles réservent aux avocats la possibilité de demander au juge d’instruction la copie intégrale de ce rapport par lettre recommandée. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la justice, du droit à un procès équitable et des droits de la défense [1] ».

Se fondant sur les articles 6 et 16 de la DDHC de 1789, le Conseil constitutionnel a d’abord constaté que les « dispositions contestées ont ainsi pour effet de priver les parties non assistées par un avocat du droit d’avoir connaissance de l’intégralité d’un rapport d’expertise pendant le délai qui leur est accordé pour présenter des observations ou formuler une demande de complément d’expertise ou de contre-expertise.[2] »

Dans ces conditions, le juge de la rue de Montpensier estime que « dans la mesure où est reconnue aux parties la liberté d’être assistées d’un avocat ou de se défendre seules et sauf à ce qu’une restriction d’accès soit jugée nécessaire au respect de la vie privée, à la sauvegarde de l’ordre public ou à l’objectif de recherche des auteurs d’infractions, toutes les parties à une instruction doivent pouvoir avoir connaissance de l’intégralité du rapport d’une expertise ordonnée par le juge d’instruction afin de leur permettre de présenter des observations ou de formuler une demande de complément d’expertise ou de contre-expertise.[3] »

Ainsi, cette « différence dans l’accès au rapport d’expertise résultant des dispositions contestées n’étant pas limitée aux cas où elle serait justifiée par la protection du respect de la vie privée, la sauvegarde de l’ordre public ou l’objectif de recherche des auteurs d’infractions, le principe d’égalité devant la justice est méconnu.[4] »

Cette analyse a conduit le Conseil constitutionnel à déclarer que « les mots « avocats des » figurant à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article 167 du code de procédure pénale doivent être déclarés contraires à la Constitution[5] ». L’entrée en vigueur de cette inconstitutionnalité est renvoyée au 1er septembre 2019[6] sans aucune mesure transitoire entre cette abrogation et l’intervention correctrice du législateur.

Mais en quoi cette décision du Conseil constitutionnel peut être vue comme une modération du privilège des avocats par rapport aux parties représentées et non représentées du tout, et de quel privilège dont il s’agit ?

Dans toutes les procédures juridictionnelles, qu’elles soient civiles, pénales ou devant les juridictions administratives, dès lors que les parties sont représentées par le ministère d’avocats, les magistrats et les services de la juridiction saisie, le greffe notamment, ont tendance à éclipser les parties au profit d’une communication avec leurs seuls représentants. C’est ce qu’on peut désigner comme étant un privilège des représentants des parties.

Si cette pratique est bénéfique pour l’organe juridictionnel, au sens où elle lui permet de n’avoir à communiquer qu’avec un interlocuteur unique, l’avocat, il n’en va pas forcément de même pour les parties intéressées. En effet, si un avocat décide de ne pas honorer ses obligations juridiques en ne prenant pas la peine de communiquer ses écrits et les écrits adverses à la partie qu’il représente dans une instance, celle-ci n’a qu’une chose à faire, attendre que soit tombée de la décision juridictionnelle. Or, dans le cas où cette décision s’avérerait défavorable, certaines parties peuvent trouver qu’elles avaient été mal représentées ou mal défendues, surtout si le manque de communication entre elles et leur représentation ne leur a pas permis d’apporter certains éclairages qui auraient pu être apportés si elles étaient au courant de l’ensemble des pièces de la procédure et qui auraient pu changer le sens de la décision du juge.

De ce point de vue, cette question relative à la communication des pièces soulevée dans cette décision du Conseil constitutionnel, si elle semble se cantonner à la seule procédure pénale, elle pose une question plus large qui n’est pas toujours comprise et élucidée, celle de la relation entre les avocats, qui ne respectent pas toujours leurs obligations de communication régulière avec leurs clients et ces derniers. Cette décision du Conseil constitutionnel pourrait alors avoir une portée bien au-delà de la seule procédure pénale. C’est en ce sens que cette décision paraît comme une réelle modération du privilège des avocats par rapport aux parties représentées et non représentées.

 

La limitation du pouvoir des services des douanes dans la communication des données de connexion par le Conseil constitutionnel

Décision n° 2018-764 QPC du 15 février 2019

M. Paulo M. [Droit de communication aux agents des douanes des données de connexion]

Le i du 1° de l’article 65 du code des douanes, issu de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, « prévoit que les agents des douanes ayant au moins le grade de contrôleur peuvent exiger la communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service, quel qu’en soit le support : « chez les opérateurs de télécommunications et les prestataires[7] ».

Bien que ces dispositions eussent déjà été spécialement déclarées conformes à la Constitution par le Conseil dans les motifs et le dispositif d’une décision antérieure[8], il avait, dans une décision ultérieure[9], déclaré contraires à la Constitution « des dispositions instaurant un droit de communication des données de connexion au profit des agents de l’Autorité de la concurrence analogue à celui prévu par les dispositions contestées [10]».

Selon le Conseil constitutionnel, cette dernière décision « constitue un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées[11] », d’où la décision ici analysée.

Pour déclarer ces dispositions contraires à la Constitution, le Conseil constitutionnel a jugé que « La communication des données de connexion est de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée de la personne intéressée. Si le législateur a réservé à certains agents des douanes soumis au respect du secret professionnel le pouvoir d’obtenir ces données dans le cadre d’opérations intéressant leur service et ne leur a pas conféré un pouvoir d’exécution forcée, il n’a assorti la procédure prévue par les dispositions en cause d’aucune autre garantie. Dans ces conditions, le législateur n’a pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d’une part, le droit au respect de la vie privée et, d’autre part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions ».

Ainsi, comme il l’avait fait pour l’Autorité de la concurrence en 2015, le Conseil constitutionnel a mis une limite à l’exercice du pouvoir conféré par le législateur aux services des douanes leur permettant d’exiger la communication des données de connexion notamment chez les opérateurs de télécommunications.

Serge SURIN

Samedi 16 février 2019

 

[1] Décision n° 2018-765 QPC du 15 février 2019, §. 3. M. Charles-Henri M. [Droit des parties non assistées par un avocat et accès au rapport d’expertise pénale].

[2] Ibid., §. 7.

[3] Ibid., §. 8.

[4] Ibid., §. 9.

[5] Ibid., §. 10.

[6] Ibid., §. 12.

[7] Décision n° 2018-764 QPC du 15 février 2019, §. 1. M. Paulo M. [Droit de communication aux agents des douanes des données de connexion]

[8] Décision n° 2011-214 QPC du 27 janvier 2012, Cons. 6 et 7. Société COVED SA [Droit de communication de l’administration des douanes].

[9] Décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, Cons. 137 et 138. Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

[10] Décision n° 2018-764 QPC, §. 5. Op. cit.

[11] Ibid.

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