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Chron. de jurispr. constit. (CJC)

Chronique de jurisprudence constitutionnelle du vendredi 8 février 2019 (Décisions n° 2018-762 QPC et n° 2018-763 QPC du 8 février 2019)

La subtile neutralisation de la compétence de la juridiction administrative par le Conseil constitutionnel au profit de la compétence de l’autorité judiciaire en matière pénale

 

Décision n° 2018-763 QPC du 8 février 2019

Section française de l’Observatoire international des prisons [Rapprochement familial des détenus prévenus attendant leur comparution devant la juridiction de jugement]

L’article 34 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 dite pénitentiaire dispose : « Les prévenus dont l’instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement peuvent bénéficier d’un rapprochement familial jusqu’à leur comparution devant la juridiction de jugement ».

Ces dispositions ont été contestées par la Section française de l’Observatoire international des prisons qui leur envoie plusieurs griefs. D’abord, elle estime qu’elles méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif. Ensuite, elle leur reproche de ne prévoir aucune voie de recours permettant au détenu prévenu de contester l’avis conforme par lequel l’autorité judiciaire peut s’opposer au bénéfice du rapprochement familial ; de la même manière, elle leur reproche de ne pas préciser les motifs susceptibles de justifier cette opposition ; d’où il résulterait également une méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale. Enfin, l’Association, sur le fondement des mêmes motifs, reproche à ces dispositions d’être entachées d’incompétence négative de nature à porter atteinte à ces mêmes droits.

Le point saillant de cette décision n° 2018-763 QPC du 8 février 2019 du Conseil constitutionnel porte sur la double intervention du juge judiciaire, d’un côté, et du juge administratif, de l’autre, dans la même situation, ce qui pose problème au regard l’objectif constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité du droit et donc des procédures juridictionnelles, surtout en matière répressive.

En effet, la décision attribuant le bénéfice du rapprochement familial à l’individu se trouvant dans l’attente de sa comparution devant le juge répressif est une décision administrative sur laquelle le juge administratif peut exercer un contrôle de légalité. Mais le problème est que ladite décision administrative est prise selon l’avis conforme, implicite ou explicite, de l’autorité judiciaire par le biais du juge d’instruction ou de celui des libertés et de la détention. Le Conseil d’État, à juste titre, s’est toujours refusé de se prononcer sur l’avis de l’autorité judiciaire qui fonde la décision administrative afin d’éviter d’empiéter sur ses prérogatives juridictionnelles. Ainsi, on se trouve face à une décision administrative prise sur le fondement d’un avis de l’autorité judiciaire qui se trouve en même temps soumise à la juridiction administrative sans que celle-ci puisse apprécier le bienfondé dudit avis.

Cette situation, dans le cas où l’on admettrait cette cacophonie juridique comme conforme à la Constitution, pointe le caractère dualiste du problème. D’une part, l’objectif constitutionnel d’intelligibilité de la procédure juridictionnelle en matière pénale se trouverait entravé. D’autre part, en permettant à la juridiction administrative d’annuler, le cas échéant, une décision de prise conformément à l’avis d’un juge de l’autorité judiciaire, reviendrait à admettre une soumission de la justice pénale, et donc de l’autorité judiciaire, à la justice administrative. Cette situation paraît particulièrement incongrue.

C’est cette difficulté qui a conduit le Conseil constitutionnel à abroger les dispositions contestées en reportant l’effet de sa décision tout en prenant des mesures transitoires afin que l’inconstitutionnalité puisse produire immédiatement et pleinement ses effets dans l’attente de l’intervention correctrice du législateur.

En effet, le Conseil constitutionnel a jugé : « L’abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de priver les prévenus dont l’instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement de la possibilité d’obtenir un rapprochement familial. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2019 la date de cette abrogation.[1] »

Comme il a pris l’habitude de le faire depuis 2016[2], le juge de la rue de Montpensier a conclu : « Afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que les avis défavorables pris sur le fondement des dispositions litigieuses par les magistrats judiciaires après la date de cette publication peuvent être contestés devant le président de la chambre de l’instruction dans les conditions prévues par la deuxième phrase du quatrième alinéa de l'article 145-4 du code de procédure pénale.[3] »

Par ces mesures transitoires, le Conseil constitutionnel, bien qu’il répète qu’« Il ne lui appartient pas d’indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu’il soit remédié à l’inconstitutionnalité constatée[4] », ce qui n’est qu’une stratégie jurisprudentielle, indique bel et bien au législateur ce qu’il attend pour espérer entrer dans le rang de la constitutionnalité. En effet, le Conseil constitutionnel paraît écarter la possibilité qui, jusque-là, semblait être offerte au Conseil d’État de défaire une décision de la justice pénale[5] et corriger l’inintelligibilité dont était entachée la double intervention du juge judiciaire, d’une part, et du juge administratif, d’autre part, avant qu’un prévenu puisse bénéficier ou non d’un rapprochement familial dans l’attente de son jugement.

Enfin, en permettant de contester la décision de refus d’un rapprochement familial « devant le président de la chambre de l’instruction », c’est-à-dire devant l’autorité judiciaire, le Conseil constitutionnel a unifié la procédure pénale en ce domaine en mettant fin à la compétence ambiguë de la juridiction administrative. Il a ainsi neutralisé, voire même rendu inutile, le contrôle de légalité de celle-ci. Par cette décision, le Conseil constitutionnel a transformé la décision jadis administrative de refus en décision juridictionnelle de l’autorité judiciaire dont la juridiction administrative ne peut connaître.

 

La portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République concernant la responsabilité pénale des mineurs précisée par le Conseil constitutionnel

 

Décision n° 2018-762 QPC du 8 février 2019

M. Berket S. [Régime de l’audition libre des mineurs]

L’article 61-1 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 27 mai 2014, ne fait aucune différence entre le traitement d’une personne mineure auditionnée après avoir commis ou tenté de commettre une infraction et celui d’une personne adulte.

Cette situation a été contestée devant le Conseil constitutionnel qui, par sa décision n° 2018-762 QPC du 8 février 2019, a précisé la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) en matière de justice (notamment pénale) des mineurs.

Pour le Conseil constitutionnel, si « la législation républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives[6] », s’agissant de personnes mineures, l’« atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle[7] ». Ainsi, cette particularité du traitement des mineurs ayant commis ou tenté de commettre une infraction est bel et bien un PFRLR : « les dispositions originelles de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante n’écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n’excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention.[8] »

C’est là la portée que le Conseil constitutionnel donne au « principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.[9] »

Par conséquent, en abrogeant l’article 61-1 du Code de procédure pénale en ce qu’il s’applique de la même manière tant aux personnes majeures qu’aux personnes mineures, le Conseil constitutionnel invite le législateur à adopter des mesures appropriées et suffisantes au maintien de ce PFRLR et donc « de nature à garantir l’effectivité de l’exercice de ses droits par le mineur dans le cadre d’une enquête pénale[10] ».

Se fondant sur l’article 62 de la Constitution, le Conseil constitutionnel n’a pas reconnu effet immédiat à l’abrogation prononcée. Car, selon lui, « l’abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de supprimer les garanties légales encadrant l’audition libre de toutes les personnes soupçonnées, majeures ou mineures. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives.[11] » Ainsi, « il y a lieu de reporter au 1er janvier 2020 la date de l’abrogation des dispositions contestées.[12] »

Enfin, contrairement au cas précédent, le Conseil constitutionnel n’a pas pris de mesures transitoires dans l’attente de l’intervention du législateur. Pourtant, jusqu’à l’intervention correctrice de celui-ci, au plus tard le 1er janvier 2020, il n’existe aucune mesure « de nature à garantir l’effectivité de l’exercice de ses droits par le mineur dans le cadre d’une enquête pénale ». Le Conseil constitutionnel ne semble pas trouver dans cette inconstitutionnalité une gravité telle à prévoir des mesures transitoires dans le traitement pénal des mineurs. Cette situation pose une fois de plus question quant au caractère arbitraire du pouvoir dont le Conseil constitutionnel dispose sur le fondement des dispositions de l’article de 62 de la Constitution qui, de manière exorbitante, lui permettent de moduler à sa guise les effets des inconstitutionnalités qu’il a prononcées.

Serge SURIN

Vendredi 8 février 2019

 


[1] Décision n° 2018-763 QPC du 8 février 2019, §. 10. Section française de l’Observatoire international des prisons [Rapprochement familial des détenus prévenus attendant leur comparution devant la juridiction de jugement].

[2] Décision n° 2016-543 QPC du 24 mai 2016, §§. 19-21. Section française de l’observatoire international des prisons [Permis de visite et autorisation de téléphoner durant la détention provisoire].

[4] Décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018, §. 23. M. Cédric H. et autre [Délit d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger].

[5] En effet, si le Conseil d’État ne fit pas usage de cette porte qui lui a été restée ouverte, ce n’est que par une forme de « prudence jurisprudentielle » comme l’a relevé le Conseil constitutionnel : « Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d’État, telle qu’elle ressort de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que la décision administrative relative au rapprochement familial est nécessairement subordonnée à l’accord du magistrat judiciaire saisi du dossier de la procédure. Il en résulte également que, s’il appartient au juge administratif, saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision administrative de refus de rapprochement familial, d’exercer un contrôle de légalité sur celle-ci, il ne lui appartient pas de contrôler la régularité et le bien-fondé de l’avis défavorable du magistrat judiciaire qui en constitue, le cas échéant, le fondement. » (Décision n° 2018-763 QPC, Op. cit., §. 5).

[6] Décision n° 2018-762 QPC du 8 février 2019, §. 3. M. Berket S. [Régime de l’audition libre des mineurs].

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] Ibid., §. 5.

[11] Ibid., §. 8.

[12] Ibid.

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