Brèves analyses des deux décisions du Conseil constitutionnel du 14 avril 2023 sur la réforme des retraites

 

LUNDI 8 MAI 2023 (Maj samedi 3 juin 2023)

Dans sa décision n° 2020-799 DC du 26 mars 2020, le Conseil constitutionnel avait déclaré : « Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il n’y a pas lieu de juger que cette loi organique a été adoptée en violation des règles de procédure prévues à l’article 46 de la Constitution[1] ». C’est par ces mots sibyllins que l’institution de l’aile gauche du Palais-Royal a validé une loi organique adoptée en quatre (4) jours de procédure en tout, alors que l’article 46 de la Constitution exige, pour ce type de loi, au moins quinze (15) jours devant la première assemblée saisie.

Une telle doctrine anticonstitutionnellement assumée par le juge de la rue de Montpensier devait conduire sagement les spécialistes du droit constitutionnel à ne pas mettre beaucoup d’espoir sur ce que le Conseil ferait s’agissant de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 qui a repoussé l’âge de départ à la retraite à soixante-quatre (64) ans ; cela d’autant plus que 4 membres du Conseil en fonction ont été nommés par le camp d’Emmanuel Macron, trois par le président du Sénat, Gérard Larcher, qui a voté la loi contestée et deux par le camp socialiste au pouvoir entre 2012 et 2017 ; et l’on sait que les socialistes tendance hollandiste ne critiquent cette réforme que par opportunisme ; cela est tout à fait normal, pourrait-on dire, car ce sont les socialistes hollandistes, avec Marisol Touraine, qui, en 2014, ont mâché le travail à Emmanuel Macron puisqu’ils avaient repoussé la durée de cotisation pour partir à la retraite à taux plein, soit un départ à soixante-deux (62) ans[2].

Quant au mécanisme du référendum d’initiative partagée (RIP) prévu à l’alinéa 3, de l’article 11 de la Constitution qui a été activé par la gauche et visant à abroger la réforme contestée des retraites par la décision du peuple français, les conditions de son impossibilité ont été savamment pensées par les bourgeois qui l’ont conceptualisé. On se souvient que ce RIP a été imaginé par un comité présidé par Édouard Balladur en 2007[3]. C’est ainsi que le constituant de 2008 lui-même et le législateur organique auquel le constituant a renvoyé ont volontairement rendu le mécanisme inapplicable. C’est ce qu’on peut appeler une réforme bourgeoise dont le seul objectif est de calmer les ardeurs colériques du bas peuple et surtout pas de permettre effectivement à ces vulgaires personnages de s’exprimer.

Que retenir des deux décisions n° 2023-849 DC du 14 avril 2023. Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 et n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023. Proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans, laquelle est, sans grande surprise, confirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2023-5 RIP du 3 mai 2023 à propos de la proposition de loi visant à interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans ?

Quant à la première décision, elle est le fruit de 4 saisines du Conseil constitutionnel : la Première ministre, Élisabeth Borne, plus de soixante (60) députés du rassemblement national, plus de soixante (60) députés de l’intergroupe LFI-Nupes et plus de soixante (60) sénateurs de gauche. Pour ce qui concerne la seconde décision sur la proposition de loi référendaire, elle est rendue à la suite de la saisine de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, conformément au quatrième alinéa de l’article 11 et au premier alinéa de l’article 61 de la Constitution.

Cette brève analyse des décisions du Conseil constitutionnel montrera que l’examen fait par le Conseil de la loi portant réforme du régime des retraites est biaisé (I) et que ce biais se retrouve également dans l’examen du mécanisme de référendum d’initiative partagée (RIP), dont les conditions d’impossibilité ont été savamment pensées (II), qui visait à faire invalider la réforme par le peuple souverain.

I. Un examen biaisé de la réforme par le Conseil constitutionnel

Une bonne partie des arguments avancés par les membres de la nouvelle union populaire, écologique et sociale (NUPES) dans leur texte de saisine contre cette loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 était fondée sur les travaux préparatoires[4], notamment ceux de la loi organique du 22 juillet 1996 qui a fixé les conditions de présentation en termes de contenu matériel de la catégorie de loi de financement de la sécurité sociale[5], conformément à la réforme constitutionnelle du 22 février 1996 qui a créé cette catégorie de loi au nouvel article 47-1 de la Constitution[6] ; les auteures et auteurs de la saisine démontraient que les rédacteurs de cette loi organique n’avaient pas souhaité permettre le recours à la loi de financement rectificative de la sécurité sociale à tout moment de l’année, alors que le gouvernement n’a même pas attendu la moindre exécution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 pour projeter sa rectification dès le mois de janvier de l’année de son exécution, c’est-à-dire 2023 ; mais le Conseil constitutionnel a balayé sans broncher ces arguments. Le Conseil estime en effet : « Il ne ressort ni des termes des dispositions constitutionnelles et organiques précitées, ni au demeurant des travaux préparatoires des dispositions organiques en vigueur, que le recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale serait subordonné à d’autres conditions que celles résultant de ces dispositions, et notamment à des conditions qui tiendraient à l’urgence, à des circonstances exceptionnelles ou à un déséquilibre majeur des comptes sociaux.[7] » (§8).

Validation de l’usage de l’article 47-1 de la Constitution

Sur l’usage de l’article 47-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel juge que la loi portant réforme des retraites est bel et bien une loi de financement de la sécurité sociale au sens de l’article LO 111-3 du Code de la sécurité sociale et que, par conséquent, « aucune exigence constitutionnelle n’a été méconnue lors de la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article 47-1 de la Constitution » (§19).

Pour parvenir à une telle solution, le Conseil a suivi un raisonnement limitant volontairement son rôle de régulateur de la vie démocratique du pays. En effet, le Conseil distingue deux cas de figure. D’abord, il a constaté que les articles LO 111-3-10 et LO 111-3-11 du Code de la sécurité sociale fixent les dispositions obligatoires que doit comporter un projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ensuite, il a vu que l’article LO 111-3-12 du même code fixe, quant à lui, des dispositions facultatives qui peuvent également figurer dans un tel projet de loi.

Après un tel constat, voilà le raisonnement du Conseil qui estime que « si les dispositions relatives à la réforme des retraites, qui ne relèvent pas de ce domaine obligatoire, auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur à cet égard, mais uniquement de s’assurer que ces dispositions se rattachent à l’une des catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale » (§11). En gros, selon le Conseil, le contenu de la loi adoptée par le Parlement relève des dispositions facultatives prévues par le Code de la sécurité sociale et que, si le gouvernement le souhaitait, il aurait pu passer par une loi ordinaire de manière à ne pas écourter les débats dans les assemblées par l’application des dispositions des articles 47-1 et 49, al. 3, de la Constitution. Ce choix n’ayant pas été fait par le gouvernement, il ne se reconnaît pas le droit de le lui imposer. Il s’agit d’une jurisprudence constante du Conseil. Ce raisonnement s’inscrit donc dans cette constance. En d’autres termes, le choix de faire autrement ne relève pas du juge mais du pouvoir politique que le juge n’est pas, mais cela ne trompe personne, le Conseil est bien, malgré lui, un organe plus politique au sens propre comme au sens figuré. D’ailleurs, Jean Foyer qui, pour d’autres raisons, discutables, voulait voir supprimer le Conseil constitutionnel en 1998, estimait que « les autorités de nomination ne nomment pas des adversaires politiques[8] ». Par cette affirmation, le feu ancien académicien signifiait que les membres du Conseil demeuraient, quoi que l’on en dise, plutôt loyaux aux autorités qui les ont nommés. On pourrait aller plus loin en affirmant que les hommes politiques nommés au Conseil constitutionnel, dès lors qu’ils demeurent dans cet esprit de loyauté et même d’obéissance du monde politique, peuvent se montrer solidaires de leurs successeurs au pouvoir, peu importe leur obédience partisane. C’est d’ailleurs ce qu’a montré la validation des comptes de campagne irréguliers de Jacques Chirac et d’Édouard Balladur en 1995[9] qui a fait scandale[10] et c’est ce que l’on peut constater avec les membres actuels du Conseil au regard de cette réforme très contestée des retraites[11].

Cependant, on peut s’interroger sur cette jurisprudence en se demandant pourquoi le Conseil restreint autant ses propres compétences face au pouvoir exécutif. Mais force est de constater que c’est le fonctionnement même des institutions politiques françaises de la Ve République et le principe de séparation des pouvoirs à la française qui sont incongrus. En effet, le juge de la rue de Montpensier précise qu’« Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur à cet égard, mais uniquement de s’assurer que ces dispositions se rattachent à l’une des catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale » (§11). Tout citoyen lambda qui lira cette décision comprendra que le terme législateur renvoie au Parlement, c’est-à-dire aux deux assemblées législatives que sont l’Assemblée nationale et le Sénat. Pourtant, c’est le pouvoir exécutif, le gouvernement donc appliquant la seule volonté présidentielle, qui a imposé la procédure de l’article 47-1 de la Constitution que la majorité parlementaire ne souhaitait pourtant pas. Cet élément montre que les institutions de la Ve République datant du XXe siècle ne correspondent plus aux aspirations démocratiques de la population française au XXIe siècle.

Validation de l’usage de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution

Ce que ne dit pas le Conseil constitutionnel, notamment à propos de l’usage démesuré de l’article 49, al. 3, de la Constitution, mais il est vrai aussi que l’argument n’a pas été soulevé devant lui, est que, à la lecture des travaux préparatoires de la Constitution, notamment les Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958[12], d’un côté, et les Travaux préparatoires de la Constitution. Avis et débats du Comité consultatif constitutionnel[13], de l’autre, on s’aperçoit que cette disposition n’a pas été adoptée pour permettre au gouvernement de passer outre l’avis du peuple, mais, au contraire, de redonner la parole au peuple afin qu’il tranche les conflits entre le Parlement et le gouvernement. Pourtant, c’est le contraire qui a été observé, à savoir que cette disposition constitutionnelle a été utilisée contre l’opinion d’une écrasante majorité des travailleurs et du peuple français.

Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel semble davantage se comporter comme le chien de garde du gouvernement que comme une juridiction chargée de faire respecter la volonté du peuple à travers sa Constitution. En effet, dans cet épisode de crise politique, la Constitution a été utilisée contre le peuple. Cet épisode met également en lumière l’hypocrisie de la pensée bourgeoise qui voudrait faire croire qu’il serait interdit de réviser la Constitution de 1958 sur le fondement du premier alinéa de son article 11 ; en réalité, s’ils ne veulent pas de cette voie de révision, c’est parce qu’ils savent que, comme pour la réforme des retraites, si le peuple était appelé à modifier la Constitution, il risquerait de remettre en cause les privilèges qu’offre l’accent bourgeois de cette Constitution en la rendant plus accessible à l’expression populaire. Et pour cause, l’article 89 de la Constitution prévoit également un référendum pour la réviser, mais s’il a été utilisé une fois en 2000, c’était parce qu’on était certain du résultat. La Ve République post-gaullienne est devenue bien plus bourgeoise et se montre peu favorable au suffrage ; et depuis le vote négatif de 2004 refusant la Constitution européenne, la pensée bourgeoise française s’est complètement enterrée dans une phobie référendaire aigue.

Les requérants soulevaient également que le gouvernement avait empêché l’exercice du droit d’amendement que les membres du Parlement tiennent de l’article 44 de la Constitution par la violation des procédures fixées par les règlements des assemblées, notamment au Sénat. Le Conseil a répondu : « Les règlements des assemblées parlementaires n’ayant pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle, la seule méconnaissance des dispositions réglementaires invoquées ne saurait avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution » (§27). Quand on sait que, conformément au premier alinéa de l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel contrôle obligatoirement, avant leur entrée en vigueur, la conformité des règlements des assemblées parlementaires à la Constitution, on a du mal à comprendre cette argumentation. On a l’impression en effet que le Conseil estime dans sa décision que les règlements des assemblées sont contraires à la Constitution, alors qu’il les a déjà déclarés conformes à cette Constitution.

S’agissant des exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires, le Conseil constitutionnel juge trois fois dans sa décision que, par la mise en œuvre de certaines procédures d’accélération de l’examen du projet de loi au sein du Sénat, il y a eu atteinte à ces exigences mais qu’il ne s’agit pas d’« une atteinte substantielle au droit d’amendement des parlementaires » (§§35, 50 et 55).

Le Conseil constitutionnel a donc fait le choix de minorer les agressivités procédurales du gouvernement à l’encontre du Parlement. Pour ne pas se justifier, il affirme sans l’ombre d’une motivation que « la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée, n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi » (§69).

Ainsi, les expressions « pas de nature à » et « substantielle », qui supposent de définir finement une règle de proportionnalité, sont évoquées par le Conseil juste pour se sortir d’affaire ou plutôt pour sortir le gouvernement du pétrin de l’impopularité sous le masque du droit.

Pour couronner le tout, le Conseil, qui a renié la sagesse qu’on lui prête, estime que les agressivités gouvernementales contre le Parlement sont inhabituelles mais que lui, juge constitutionnel, n’est toujours pas compétent pour apprécier la teneur et les conséquences du comportement du gouvernement sur les droits des représentants du peuple pourtant fraichement élus en juin 2022. Pour lui, en effet, « si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions des débats, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution. Par conséquent, la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution » (§70).

Mais, comme l’a très justement remarqué Lauréline Fontaine, la composition du Conseil n’est pas sans conséquences sur la décision adoptée le 14 avril 2023. D’ailleurs, un article du quotidien Le Point révèle les coulisses de la séance de délibération de cette décision lors de laquelle Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, aurait plaidé pour la censure de la réforme des retraites du fait de la violence institutionnel du gouvernement envers le Parlement[14], mais qu’il aurait été le seul contre tous les huit autres membres de l’institution, à savoir :

Informé de cette position de Laurent Fabius, Emmanuel Macron aurait été furieux à l’Élysée. Cet épisode, s’il est avéré, est important car il montre que le secret de l’instruction dont on parle souvent n’est qu’un secret de polichinelle s’agissant du Conseil constitutionnel. Différents membres de l’institution rendent compte et / ou renvoient la balle à l’auteur de leur nomination au Conseil. On comprend ainsi la crainte du gouvernement qui, de manière préventive, a complètement barricadé le complexe du Palais-Royal où siège le Conseil constitutionnel par des policiers lourdement armés avant même que l’annonce de la décision du Conseil ait été faite. Cette précaution montre qu’Emmanuel Macron connaissait la décision du Conseil avant même sa publication, ce qui est extrêmement problématique au regard du principe de séparation des pouvoirs.

II. Le mécanisme du référendum d’initiative partagée victime de ses conditions d’impossibilité

Ce même 14 avril 2023, le Conseil constitutionnel a également statué, par sa décision n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023, sur la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans[15]. Cette proposition de loi avait pour objectif de permettre au peuple français de revenir, souverainement en l’abrogeant par voie référendaire, sur la loi du 14 avril 2023 portant l’âge de départ à la retraite à 64 ans.

Mais c’était sans compter sur les conditions d’impossibilité du mécanisme que le constituant de 2008 a lui-même créées et organisées[16]. Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, en effet, la Constitution de 1958 est augmentée, entre autres, du mécanisme du RIP aux alinéas 3 et suivants qui lui sont consacrés.

Tout d’abord, sur le principe, très alléchant, l’article 11, al. 3, de la Constitution prévoit : « Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. » Première condition d’impossibilité du mécanisme, la proposition de loi référendaire « ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ». Sachant qu’Emmanuel Macron a promulguée la loi contestée tout en renvoyant son entrée en vigueur, son application concrète, au 1er septembre 2023. Par conséquent, même si cette réforme était entrée en vigueur dès le 14 avril 2023, le Conseil constitutionnel pourrait, s’il ne comptait pas le temps de recueil de soutiens, estimer que la proposition de loi vise à abroger une disposition en vigueur depuis moins d’un an et qu’il en résulte que cette proposition de loi référendaire est contraire à ce texte de la Constitution.

Ensuite, le quatrième alinéa de cet article 11 de la Constitution précise : « Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique. ». Deuxième condition d’impossibilité du RIP, la loi organique en question[17] prévoit en son article 3 qu’il revient au ministre de l’intérieur de mettre « en œuvre, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, le recueil des soutiens apportés à une proposition de loi ». On comprend fort bien que le ministre de l’intérieur a tout intérêt à saboter le système informatique de recueil de soutiens par des erreurs volontaires de paramétrage dans le but de décourager voire dissuader les électeurs à donner leur soutien ; c’est ce qui s’est réellement passé pour le RIP de 2019 qui visait à nationaliser les aérodromes de Paris, le Conseil constitutionnel l’a lui-même reconnu [18].

Enfin, le troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution ajoute : « Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum. » Troisième condition d’impossibilité, il suffit pour la majorité d’une seule chambre du Parlement de torpiller la proposition de loi en commission sans véritables débats pour l’enterrer. Car examiner ne signifie pas forcément véritables débats, et encore moins voter en séance publique.

Ces quelques éléments grossièrement présentés montrent qu’il n’est pas étonnant que l’institution de la rue de Montpensier constate qu’« à la date à laquelle le Conseil constitutionnel a été saisi de cette proposition de loi, l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale prévoit que l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite mentionné à ces mêmes dispositions est fixé à soixante-deux ans » (§11) pour finalement estimer que « la proposition de loi, qui ne porte sur aucun des autres objets mentionnés au premier alinéa de l’article 11 de la Constitution, ne satisfait pas aux conditions fixées par le troisième alinéa de ce même article et le 2 ° de l’article 45-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 » (§11).

Enfin, au regard de ces mêmes éléments, si les oppositions à la réforme tentaient de pallier les risques d’invalidation par le Conseil constitutionnel en rédigeant une autre proposition de loi, l’échec était assuré d’avance, ce qui n’a pas manqué, puisque dans sa décision du 3 mai 2023[19], le Conseil a réitéré le raisonnement qu’il avait adopté dans sa décision du 14 avril 2023.

Le Conseil constitutionnel, « engouée de juridisme constitutionnel » pour parler comme Jean Foyer déjà cité, fait semblant de ne pas voir que le président de la République a promulgué la loi qui entrera en vigueur au 1er septembre 2023, à moins que casserolades[20] et coalitions parallèles à la fébrile majorité gouvernementale en cours au Parlement, à l’Assemblée nationale en particulier, contre cette réforme ne conduisent à son retrait ou sa mise sur pause de manière plus rapide que prévue ; le mode opératoire du peuple en colère est impénétrable, nul ne sait ce qui se passera dans les prochains mois.

À tout cela s’ajoute le fait que le système politique français, avec Emmanuel Macron seule à la manette, semble bien se diriger vers le totalitarisme que pointait Dédier Truchet[21], ayant déjà atteint le stade de l’illibéralisme constaté avec conviction par Jean-François Bayart qui pointe l’irresponsabilité du président français qu’il qualifie d’« enfant immature, narcissique, arrogant, sourd à autrui, plutôt incompétent, notamment sur le plan diplomatique, dont les caprices ont force de loi au mépris de la Loi ou des réalités internationales[22] ».

 

[1] Décision n° 2020-799 DC du 26 mars 2020, §3. Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

[2] Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.

[3] V. Rapport du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, Une Ve République plus démocratique, 2007. Le « plus démocratique » n’était alors qu’un leurre pour amadouer le peuple français qui demande davantage de moyens de prendre souverainement ses propres décisions sans arbitrage des élites intellectuelles et politiques.

[4] V. le texte de la saisine de la NUPES annexé à la décision n° 2023-849 DC sur le site internet du Conseil constitutionnel.

[5] Loi organique n° 96-646 du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

[6] Loi constitutionnelle n°96-138 du 22 février 1996 constitutionnelle instituant les lois de financement de la sécurité sociale.

[7] Décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023. Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

[8] Jean Foyer, « Pour la suppression du Conseil constitutionnel », La Revue administrative, 51ème année, n° 301, Janvier-février 1998, pp. 99-100.

[9] Décision n° 95-86 PDR du 11 octobre 1995. Décision du Conseil constitutionnel relative au compte de campagne de Monsieur Jacques Chirac, candidat à l’élection présidentielle des 23 avril et 7 mai 1995 ; décision n° 95-91 PDR du 11 octobre 1995. Décision du Conseil constitutionnel relative au compte de campagne de Monsieur Edouard Balladur, candidat à l’élection présidentielle des 23 avril et 7 mai 1995.

[10] Elodie Guéguen et Sylvain Tronchet, « Présidentielle 1995 : comment le Conseil constitutionnel a validé les comptes de campagne irréguliers de Chirac et Balladur », France Info, 20 octobre 2020, Consulté le 7 mai 2023.

[11] Sur ce point, v. Lauréline Fontaine, La Constitution maltraitée. Anatomie du Conseil constitutionnel, Préface d’Alain Supiot, Éditions Amsterdam, Mars 2023, 280 p. ; v. aussi « Conseil constitutionnel : pouvait-il vraiment stopper Macron ? », , entretien Lauréline de Fontaine avec Julien Théry, Le Média, https://www.youtube.com/watch?v=0pQfYqon0ak, Consulté le 7 mai 2023.

[12] Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, plusieurs tomes, La Documentation française, 1987.

[13] Travaux préparatoires de la Constitution. Avis et débats du Comité consultatif constitutionnel, La Documentation française, 1960.

[14] « Comment Fabius a voulu censurer Macron sur les retraites », Le Point, 2 juin 2023.

[15] Décision n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023. Proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans.

[16] Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

[17] Loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l'article 11 de la Constitution.

[18] V. les commentaires de votre humble serviteur sur la décision n° 2019-1-8 RIP du 26 mars 2020 (http://serge-surin-advisorparis.e-monsite.com/pages/dec.html).

[19] Décision n° 2023-5 RIP du 3 mai 2023. Proposition de loi visant à interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans.

[20] « ‘Le vase est plein, qu’il dégage’ : casserolade contre Macron, grosse frousse pour Pap Ndiaye », Le Média, 25 avril 2023, https://www.youtube.com/watch?v=qZZM_Z0rPPA&t=2s, Consulté le 8 mai 2023.

[21] Didier Truchet, « “Emmerder’, technique d’application du droit », AJDA 2022. 545, Tribune.

[22] Jean-François Bayart, « Où va la France ? », Le Temps, Genève, 8 mai 2023.

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